- 13 nov. 2016, 00:40
#1206240
Suite à la lecture d'un témoignage d'une internaute se vantant des bienfaits d'une relation pansement pour "guérir" d'une rupture douloureuse (sur "Mademoizelle), j'ai eu un coup de sang, et j'ai pondu une réaction à chaud sur les réseaux sociaux. Je réalise qu'en fait y'a peu d'endroit où ce texte est plus à sa place qu'ici, sur ce Forum, dont c'est un des sujets principaux ! Alors du coup, je le partage, et ça peut être l'occasion d'en discuter et d'en débattre !
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REACTION A UN TEMOIGNAGE
DE RELATION « PANSEMENT »/REBOND/TREMPLIN
D’après un article trouvé sur Mademoizelle, mais comme il en existe des milliers partout dans la presse, la télévision & les réseaux sociaux
Message au contenu sarcastique assumé. Ce que j’ai lu m’a donné de l’humeur. Et en plus d’être naturellement colérique, je prends le sujet extrêmement au sérieux, pour pas dire au sacré. Chose qui ne manquera pas de disqualifier mon propos, entre autres. Peu importe, je prends la liberté de m’exprimer et ce que je vais dire n’engage que moi.
Ce témoignage, moi, je le trouve désespérant et c’est tout ce que je déteste dans les relations amoureuses et qui me persuade, bien amèrement, de m’en tenir éloigné, pour des raisons de bons sens identiques à celles qui font qu’on irait jamais se promener dans un quartier mal fréquenté la nuit à 3h du matin avec sa plus belle toilette.
Les relations amoureuses, à cause de ce qu’en font les gens, sont devenues plus que jamais infréquentables, et ça ne se trahit nulle part mieux que dans les articles/tests qui justement prétendent donner envie de s’y (re)plonger ou de le vendre comme un bel endroit. L’Amour est un bel endroit. Mais même le plus bel endroit au monde devient un infect trou à merde s’il est habité par une bande de ploucs sans manières, grossiers, nombrilistes, sans vertu, monstres d’égoïsme et d’individualisme, mus par la motivation aveugle et obsédante de leurs seuls bonheur et plaisir personnels et immédiats, s’utilisant les uns les autres, se « consommant », se consolant de l’un par l’autre, confondant désir amour et lubricité pure, « passion » et amour, et la « cristallisation » qui s’en mêle.
Que l’on puisse guérir plus vite et facilement d’un « amour » avec un autre, c’est un fait, et du bon sens trop idiot pour ne pas s’en méfier. Oui, une chaise est vide jusqu’à ce que quelqu’un d’autre s’asseye dessus pour succéder au précédent occupant. Merci, captain Obvious. Ovide l’expliquait déjà, il y a 2000 ans, dans ses « Remèdes à l’amour ». Et bien d’autres l’ont fait après lui. La vraie question étant : qui met-on sur le trône à la place du sortant, et pour quelles raisons, dans quelle optique ? Et c’est là que très vite, c’est pas joli du tout.
Se guérir de quelqu’un avec quelqu’un d’autre, c’est ce qu’on appelle une relation « rebond/tremplin » ou, le terme est plus éloquent encore : « pansement ». Oui, ce truc un peu caoutchouteux et pas joli qu’on appose sur une blessure et qu’on s’empresse de balancer avec un fond de dégoût quand on est guéri, quand on ne le perd tout simplement pas à la piscine où un autre nageur aura le bonheur de le trouver flottant à la surface de l’eau.
Un pansement. Faire d’un autre être humain, un pansement. Niveau relations humaines, on est dans un des sommets du cynisme ordinaire. Ce genre de relation, quand elle est identifiée très lucidement par la personne concernée (le plus souvent, celle qui utilise l’autre comme pansement évidemment, presque jamais celui qui se retrouve « utilisé » dans ce rôle) est toujours présentée d’une façon complaisante. Tous les petits mensonges de complaisance à soi-même sont bons à prendre pour s’arranger avec sa conscience et même réussir à rendre limite « joli » ou à transformer en belle leçon d’espoir ou d’humanité une situation tout juste vouée à recréer de la souffrance et de l’injustice derrière la situation qu’on cherchait à guérir en premier lieu. Cercle sans fin. Comme refiler sa maladie à quelqu’un d’autre.
C’est ainsi qu’on lit des trucs terriblement grinçants comme « je sais que ça ne va nulle part, mais ça me fait du bien pour l’instant », « c’est en attendant mieux », « j’en ai besoin », « ça me permet d’être prêt(e) à nouveau pour du sérieux avec quelqu’un d’autre un jour ». Des gens qui ont souffert d’avoir été abandonnés, parfois « utilisés », pas aimés avec le sérieux qu’ils attendaient, se guérissent en reproduisant à leur tour ce schéma sur quelqu’un d’autre qui leur tape dans l’œil et qu’ils savent parfois par avance, ne pas être la « bonne » personne. Juste une espèce de relais de poste où on fait reposer et boire les chevaux en se bouffant une bonne omelette aux lards chez l’aubergiste, avant de repartir pour de nouvelles aventures sur les routes.
« Cette relation, je continue de la consommer ». Ces termes suivent tout juste le moment où l’auteur du témoignage déclare savoir déjà que la relation ne va nulle part. Déjà, niveau cynisme, on est pas mal et tout à fait dans le mauvais goût de l’époque : on partage une intimité physique, on couche avec des personnes dont on est pas vraiment amoureux, qu’on sait par avance ne pas être celle de notre vie, juste une « pause agréable ». Mais en plus le terme « consommer » vient ajouter la note dissonante ultime. Alors, oui, bien sûr, - pause « sémantique » - on dit « consommer » pour une union, un mariage, et cela, depuis bien avant la société de consommation dans laquelle on est empêtrés, et donc il ne faut pas voir d’autre sens que celui-ci dans l’occurrence de ce mot. Mais reste qu’en réalité, il apparaît ici bien trop pertinent par rapport à la situation pour ne pas ressembler à une espèce de lapsus révélateur, ou en tout cas pour que le lecteur, lui, ne soit pas confronté violemment à sa cruelle ambiguïté. Oui, on est dans la consommation, là. J’ai perdu mon joujou préféré, j’ai pleuré, je ne faisais qu’y penser, et le seul moyen de l’oublier, c’est d’en trouver un autre, même si c’est pas pareil, et que j’espère mieux pour la suite, au moins, ça me redonne un peu le sourire, et puis on fera « next » quand on sera prêts. C’est comme ça qu’on retrouve des personnes larguées avec des messages du type « C’était super, je n’oublierai jamais nos moments ensemble, ça a vraiment compté pour moi, mais voilà, c’est plus pareil, c’est pas toi, c’est moi, je me sens plus bien, plus amoureuse, mais en tout cas je te remercie pour tout ce qu’on a vécu, j’en avais besoin pour avancer » et autres trucs dans ce genre.
« J’en avais besoin pour avancer » ??? On a été là « juste » pour combler un besoin ? La bonne personne au bon moment, sitôt « recrachée » de l’existence de l’autre dès qu’il s’est bien « régénéré » et est prêt à passer à la vitesse supérieur avec un(e) autre ? C’est une attitude de connard/connasse, et elle est complètement banalisée. Les victimes deviennent rapidement bourreaux à leur tour, puis seront peut-être à nouveau victime s’ils tombent sur plus fort ou plutôt plus faible encore qu’eux, et ainsi va la monstrueuse chaine alimentaire cannibale, le « libéralisme » en relations amoureuses.
L’autre avait besoin de nous pour avancer. La blague est moyennement drôle quand la personne concernée par ce message, elle, voulait justement avancer avec elle ! Et quant au largueur, il reproduit un comportement dont il avait justement cherché à se guérir. La guérison par la contagion.
« Le cœur est un chasseur solitaire », comme l’écrivain américaine Carson McCullers titrait son célèbre roman éponyme. Les gens sont affreusement individualistes et égoïstes, mais n’ont même pas le courage d’assumer la solitude qui devrait aller avec. Ils feraient n’importe quoi pour ne pas être seuls, même former un couple de pacotille, même se mentir à eux-mêmes, se convaincre qu’une personne est la bonne ou qu’une histoire est exceptionnelle, ou qu’une histoire d’une stérilité flagrante est au fond une espèce de belle « expérience » pour grandir, etc. Poussant même la lâcheté à laisser pourrir ou s’éterniser une relation condamnée, s’obstinant à ne surtout pas déclarer le décès avant de s’être assuré un point de chute, un(e) « next » (le terme renvoie évidemment à la notion de zapping), et d’avoir soigneusement préparé la succession dans le dos de l’autre qui ne verra rien venir, ou trop peu. On est plus amoureux, on quitte, on est quittés, on a le cœur en miettes, on est durablement calmé côté cœur, on sent qu’on a pas encore récupéré et qu’on est pas prêt à tout donner à l’autre comme si on avait jamais été blessé, pas prêt à former un vrai couple et à s’engager : on prend son mal en patience, on la joue honnête et intègre, et on se la met sous le bras le temps qu’il faut comme un être humain digne et réfléchi, au lieu de soigner ses plais sur quelqu’un d’autre comme un vulgaire mouchoir ou de sombrer dans les plans sordides insultant rétrospectivement notre belle histoire passé, et déshonorant d’avance notre belle histoire future, si par bonheur elle existe.
Sans parler du célibat de complaisance, qui prétend faire de la solitude un art de vivre pour en réalité mieux la semer, puisque l’objectif tacite est une disponibilité totale sur le marché sentimental, autorisant tous les excès, toutes les inconstances. Tous les avantages du « couple », et tous les avantages du « célibat », le tout réuni pour former ce monstre d’irresponsabilité, de légèreté, d’inconstance, de narcissisme, d’instinct consommateur (décrocher le plus beau « produit » possible, avec le moins d’effort/de dépense possible, en profiter le plus possible et pouvoir s’en débarrasser le plus facilement possible => cycle de la consommation poussé à son paroxysme).
Je déteste Houellebecq et n’aime pas davantage ses écrits, mais ce qu’il décrit dans Extension du domaine de la lutte rejoint plus ou moins cela : l’amour, les relations sont devens un terrain de lutte consumériste comme un autre. Et ça ne gêne (presque) personne. En tout cas clairement pas assez de monde pour inverser la catastrophique tendance. Parce que ça en arrange trop. Ou simplement que trop ne se posent même pas la question et se contentent de reproduire connement, instinctivement, par mimétisme ou par automatisme, des schémas, des comportements consommateurs déjà à l’œuvre dans l’alimentation, la culture, etc.
Une leçon d’espoir ? Une leçon de désespoir, oui ! Dans les relations « amoureuses », plus que dans n’importe quel autre domaine, l’homme est un loup pour l’homme. Le romantisme est purement de surface, avec un tout petit « r » lamentable et ridicule, réduit à des petites niaiseries ordinaires qui ne sont que son travestissement le plus trivial. C’est sans foi ni loi, un supermarché avec soldes permanents, un western à ciel ouvert.
L’amour est un sentiment magnifique, qui fait faire/vivre/ressentir des choses magnifiques, et qui est à la foi la question philosophique/humaine absolue et la quête suprême… en tant qu’Idée. Dans l’exécution, la réalité… le fait est qu’il y a eu, il y a, et il y aura toujours des couples exceptionnels, vraiment sincères, durables, loyaux, Romantiques, mais ils ont malheureusement l’exception, et tout le monde bave devant eux et les envie sans être un tant soit peu capable de fournir tout ce que ça représente d’investissement, de partage, d’abnégation, d’oubli de soi, d’engagement, d’effort, de principes, de loyauté, au-delà de la base fondamentale des sentiments les plus profonds, ne se limitant pas à une suite de symptômes éphémères et superficiels auquel se trouve souvent réduit l’amour. Car évidemment, la plupart se fient à une espèce de baromètre qui marche aux papillons dans le ventre, à la libido, à la légèreté, et à la « nouveauté ». Alors, dès que la jauge diminue ou se vide, le stade du « plateau » est atteint, interprété comme de la lassitude, de l’ennui, et une mort des sentiments. Et s’ensuit une recherche immédiate de l’adrénaline perdue, de la nouveauté ailleurs, et ainsi de suite. Trouver, plutôt que garder. Recommencer plutôt que continuer.
Le remède à l’amour existe. Il est dans ce que les gens en font. Il n’y a qu’à observer toutes ces histoires qui se finissent mal (en général…) quand elles ne sont pas tout simplement anecdotiques, médiocres, passagères, sans aucun sens ni enjeu, mortes nées, bâtardes. Des milliers, millions d’exemples reproduits à l’infini d’échecs cuisants et de désastres sentimentaux, y compris après des années de relations, même après mariage et famille fondées. Les exemples de réussite dans la réalité sont marginaux. Leur multitude ne tient qu’à un imaginaire collectif, un tentaculaire nuage de fiction qui pourtant regorge de leçons édifiantes en la matière et de lignes de conduite, si elles sont prises au sérieux.
A chacun de voir, selon, si ça vaut la peine de mettre les pieds dans ce coupe-gorge pour y trouver la perle, la personne vraiment fiable avec tous et compatible avec soi, et avec qui construire quelque chose dans le temps.
Je pourrais embrayer sur la désastreuse image de la « mise en couple », qui quand elle se concrétise par un mariage mène au rituel de « l’enterrement de vie de garçon/jeune fille », « enterrement », terme aberrant, inapproprié, oxymorique dans ce contexte et plus lourd de sens qu’on aime le faire croire.
Ce rituel s’inscrit dans une espèce de parcours stéréotypé devenu la norme, favorisant, encourageant, si ce n’est « prescrivant » la liberté totale, l’écoute de ses pulsions/envies/caprices pour « cumuler » de l’expérience, comme on cumulerait des points « s’miles » sur une carte SNCF ou des Points EXP pour un putain de Pokemon menant à son « évolution ». Cumuler du kilométrage pour « fatiguer » le corps, le blaser avant de l’ « enfermer », avoir fait « le tour du sujet », avoir bu plus vite que sa soif pour la semer, l’expérience étant le critère positif et valorisant par excellence, et son absence une espèce de honte, de ridicule, de tare, de faiblesse. Logique consommatrice et capitaliste, encore. La quantité, l’accumulation, la « richesse » fait la qualité, la supériorité et donc la valeur sur le « marché », au lieu d’inspirer la méfiance ou la perplexité. Les excès distinguent et grandissent. Celui qui « profite » (toujours, le profit) peut, une fois « repu », « s’enterrer » sans regret. S’enterrer !
L’état d’esprit de ce rituel, complètement régressif, est celui d’un deuil, celui de la « liberté » et des « plus belles années ». Une insulte à la notion de couple et aux « plus belles années » qu’elle est censée annoncer et non enterrer. Si c’est ainsi qu’on vit les choses, on ne mérite même pas une si belle aventure qui, loin d’être cella d’une nuit est celle d’une vie, loin d’être une fin, n’est qu’un début, loin d’un enterrement une naissance, loin d’une prison le début d’une autre forme de liberté bien plus profonde et épanouissante. Ceux qui vivent la chose autrement qu’ainsi ne méritent juste pas ce qui leur arrive et le bonheur que c’est censé représenter, et s’ils regrettent tant que cela la jungle anarchique et décadente du célibat tel qu’il est pratiqué, qu’ils y retournent et épargnent un futur divorce aux statistiques quand ils auront leur crise de la quarantaine/cinquantaine.
Libres à ceux qui liront ces lignes et qu’elles laisseront incrédules ou perplexes, de projeter toutes les hypothèses, toutes les suppositions, tous les fantasmes sur l’état d’esprit et de vie de leur auteur ! Frustré, aigri, puceau, fraichement largué, divorcé, cocu, péteux vertueux, névrosé, négatif, jaloux, méprisant, prétentieux, désabusé, pessimiste, rétrograde, misanthrope, antipathique, connard, pauvre type, vieux con, réac’, con de Droite, con de Gauche, et j’en passe et des meilleurs ! De spéculer ou de prophétiser mon échec sentimental avec cet « état d’esprit ». Tous les fantasmes sont permis, tous les termes aussi ! Je serai ce qu’il plaira à chacun que je sois pour épouser le mieux possible sa lecture du monde et ne surtout pas trop la troubler. J’ai dit ce que j’avais à dire. TO THE HAPPY FEW.

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REACTION A UN TEMOIGNAGE
DE RELATION « PANSEMENT »/REBOND/TREMPLIN
D’après un article trouvé sur Mademoizelle, mais comme il en existe des milliers partout dans la presse, la télévision & les réseaux sociaux
Message au contenu sarcastique assumé. Ce que j’ai lu m’a donné de l’humeur. Et en plus d’être naturellement colérique, je prends le sujet extrêmement au sérieux, pour pas dire au sacré. Chose qui ne manquera pas de disqualifier mon propos, entre autres. Peu importe, je prends la liberté de m’exprimer et ce que je vais dire n’engage que moi.
Ce témoignage, moi, je le trouve désespérant et c’est tout ce que je déteste dans les relations amoureuses et qui me persuade, bien amèrement, de m’en tenir éloigné, pour des raisons de bons sens identiques à celles qui font qu’on irait jamais se promener dans un quartier mal fréquenté la nuit à 3h du matin avec sa plus belle toilette.
Les relations amoureuses, à cause de ce qu’en font les gens, sont devenues plus que jamais infréquentables, et ça ne se trahit nulle part mieux que dans les articles/tests qui justement prétendent donner envie de s’y (re)plonger ou de le vendre comme un bel endroit. L’Amour est un bel endroit. Mais même le plus bel endroit au monde devient un infect trou à merde s’il est habité par une bande de ploucs sans manières, grossiers, nombrilistes, sans vertu, monstres d’égoïsme et d’individualisme, mus par la motivation aveugle et obsédante de leurs seuls bonheur et plaisir personnels et immédiats, s’utilisant les uns les autres, se « consommant », se consolant de l’un par l’autre, confondant désir amour et lubricité pure, « passion » et amour, et la « cristallisation » qui s’en mêle.
Que l’on puisse guérir plus vite et facilement d’un « amour » avec un autre, c’est un fait, et du bon sens trop idiot pour ne pas s’en méfier. Oui, une chaise est vide jusqu’à ce que quelqu’un d’autre s’asseye dessus pour succéder au précédent occupant. Merci, captain Obvious. Ovide l’expliquait déjà, il y a 2000 ans, dans ses « Remèdes à l’amour ». Et bien d’autres l’ont fait après lui. La vraie question étant : qui met-on sur le trône à la place du sortant, et pour quelles raisons, dans quelle optique ? Et c’est là que très vite, c’est pas joli du tout.
Se guérir de quelqu’un avec quelqu’un d’autre, c’est ce qu’on appelle une relation « rebond/tremplin » ou, le terme est plus éloquent encore : « pansement ». Oui, ce truc un peu caoutchouteux et pas joli qu’on appose sur une blessure et qu’on s’empresse de balancer avec un fond de dégoût quand on est guéri, quand on ne le perd tout simplement pas à la piscine où un autre nageur aura le bonheur de le trouver flottant à la surface de l’eau.
Un pansement. Faire d’un autre être humain, un pansement. Niveau relations humaines, on est dans un des sommets du cynisme ordinaire. Ce genre de relation, quand elle est identifiée très lucidement par la personne concernée (le plus souvent, celle qui utilise l’autre comme pansement évidemment, presque jamais celui qui se retrouve « utilisé » dans ce rôle) est toujours présentée d’une façon complaisante. Tous les petits mensonges de complaisance à soi-même sont bons à prendre pour s’arranger avec sa conscience et même réussir à rendre limite « joli » ou à transformer en belle leçon d’espoir ou d’humanité une situation tout juste vouée à recréer de la souffrance et de l’injustice derrière la situation qu’on cherchait à guérir en premier lieu. Cercle sans fin. Comme refiler sa maladie à quelqu’un d’autre.
C’est ainsi qu’on lit des trucs terriblement grinçants comme « je sais que ça ne va nulle part, mais ça me fait du bien pour l’instant », « c’est en attendant mieux », « j’en ai besoin », « ça me permet d’être prêt(e) à nouveau pour du sérieux avec quelqu’un d’autre un jour ». Des gens qui ont souffert d’avoir été abandonnés, parfois « utilisés », pas aimés avec le sérieux qu’ils attendaient, se guérissent en reproduisant à leur tour ce schéma sur quelqu’un d’autre qui leur tape dans l’œil et qu’ils savent parfois par avance, ne pas être la « bonne » personne. Juste une espèce de relais de poste où on fait reposer et boire les chevaux en se bouffant une bonne omelette aux lards chez l’aubergiste, avant de repartir pour de nouvelles aventures sur les routes.
« Cette relation, je continue de la consommer ». Ces termes suivent tout juste le moment où l’auteur du témoignage déclare savoir déjà que la relation ne va nulle part. Déjà, niveau cynisme, on est pas mal et tout à fait dans le mauvais goût de l’époque : on partage une intimité physique, on couche avec des personnes dont on est pas vraiment amoureux, qu’on sait par avance ne pas être celle de notre vie, juste une « pause agréable ». Mais en plus le terme « consommer » vient ajouter la note dissonante ultime. Alors, oui, bien sûr, - pause « sémantique » - on dit « consommer » pour une union, un mariage, et cela, depuis bien avant la société de consommation dans laquelle on est empêtrés, et donc il ne faut pas voir d’autre sens que celui-ci dans l’occurrence de ce mot. Mais reste qu’en réalité, il apparaît ici bien trop pertinent par rapport à la situation pour ne pas ressembler à une espèce de lapsus révélateur, ou en tout cas pour que le lecteur, lui, ne soit pas confronté violemment à sa cruelle ambiguïté. Oui, on est dans la consommation, là. J’ai perdu mon joujou préféré, j’ai pleuré, je ne faisais qu’y penser, et le seul moyen de l’oublier, c’est d’en trouver un autre, même si c’est pas pareil, et que j’espère mieux pour la suite, au moins, ça me redonne un peu le sourire, et puis on fera « next » quand on sera prêts. C’est comme ça qu’on retrouve des personnes larguées avec des messages du type « C’était super, je n’oublierai jamais nos moments ensemble, ça a vraiment compté pour moi, mais voilà, c’est plus pareil, c’est pas toi, c’est moi, je me sens plus bien, plus amoureuse, mais en tout cas je te remercie pour tout ce qu’on a vécu, j’en avais besoin pour avancer » et autres trucs dans ce genre.
« J’en avais besoin pour avancer » ??? On a été là « juste » pour combler un besoin ? La bonne personne au bon moment, sitôt « recrachée » de l’existence de l’autre dès qu’il s’est bien « régénéré » et est prêt à passer à la vitesse supérieur avec un(e) autre ? C’est une attitude de connard/connasse, et elle est complètement banalisée. Les victimes deviennent rapidement bourreaux à leur tour, puis seront peut-être à nouveau victime s’ils tombent sur plus fort ou plutôt plus faible encore qu’eux, et ainsi va la monstrueuse chaine alimentaire cannibale, le « libéralisme » en relations amoureuses.
L’autre avait besoin de nous pour avancer. La blague est moyennement drôle quand la personne concernée par ce message, elle, voulait justement avancer avec elle ! Et quant au largueur, il reproduit un comportement dont il avait justement cherché à se guérir. La guérison par la contagion.
« Le cœur est un chasseur solitaire », comme l’écrivain américaine Carson McCullers titrait son célèbre roman éponyme. Les gens sont affreusement individualistes et égoïstes, mais n’ont même pas le courage d’assumer la solitude qui devrait aller avec. Ils feraient n’importe quoi pour ne pas être seuls, même former un couple de pacotille, même se mentir à eux-mêmes, se convaincre qu’une personne est la bonne ou qu’une histoire est exceptionnelle, ou qu’une histoire d’une stérilité flagrante est au fond une espèce de belle « expérience » pour grandir, etc. Poussant même la lâcheté à laisser pourrir ou s’éterniser une relation condamnée, s’obstinant à ne surtout pas déclarer le décès avant de s’être assuré un point de chute, un(e) « next » (le terme renvoie évidemment à la notion de zapping), et d’avoir soigneusement préparé la succession dans le dos de l’autre qui ne verra rien venir, ou trop peu. On est plus amoureux, on quitte, on est quittés, on a le cœur en miettes, on est durablement calmé côté cœur, on sent qu’on a pas encore récupéré et qu’on est pas prêt à tout donner à l’autre comme si on avait jamais été blessé, pas prêt à former un vrai couple et à s’engager : on prend son mal en patience, on la joue honnête et intègre, et on se la met sous le bras le temps qu’il faut comme un être humain digne et réfléchi, au lieu de soigner ses plais sur quelqu’un d’autre comme un vulgaire mouchoir ou de sombrer dans les plans sordides insultant rétrospectivement notre belle histoire passé, et déshonorant d’avance notre belle histoire future, si par bonheur elle existe.
Sans parler du célibat de complaisance, qui prétend faire de la solitude un art de vivre pour en réalité mieux la semer, puisque l’objectif tacite est une disponibilité totale sur le marché sentimental, autorisant tous les excès, toutes les inconstances. Tous les avantages du « couple », et tous les avantages du « célibat », le tout réuni pour former ce monstre d’irresponsabilité, de légèreté, d’inconstance, de narcissisme, d’instinct consommateur (décrocher le plus beau « produit » possible, avec le moins d’effort/de dépense possible, en profiter le plus possible et pouvoir s’en débarrasser le plus facilement possible => cycle de la consommation poussé à son paroxysme).
Je déteste Houellebecq et n’aime pas davantage ses écrits, mais ce qu’il décrit dans Extension du domaine de la lutte rejoint plus ou moins cela : l’amour, les relations sont devens un terrain de lutte consumériste comme un autre. Et ça ne gêne (presque) personne. En tout cas clairement pas assez de monde pour inverser la catastrophique tendance. Parce que ça en arrange trop. Ou simplement que trop ne se posent même pas la question et se contentent de reproduire connement, instinctivement, par mimétisme ou par automatisme, des schémas, des comportements consommateurs déjà à l’œuvre dans l’alimentation, la culture, etc.
Une leçon d’espoir ? Une leçon de désespoir, oui ! Dans les relations « amoureuses », plus que dans n’importe quel autre domaine, l’homme est un loup pour l’homme. Le romantisme est purement de surface, avec un tout petit « r » lamentable et ridicule, réduit à des petites niaiseries ordinaires qui ne sont que son travestissement le plus trivial. C’est sans foi ni loi, un supermarché avec soldes permanents, un western à ciel ouvert.
L’amour est un sentiment magnifique, qui fait faire/vivre/ressentir des choses magnifiques, et qui est à la foi la question philosophique/humaine absolue et la quête suprême… en tant qu’Idée. Dans l’exécution, la réalité… le fait est qu’il y a eu, il y a, et il y aura toujours des couples exceptionnels, vraiment sincères, durables, loyaux, Romantiques, mais ils ont malheureusement l’exception, et tout le monde bave devant eux et les envie sans être un tant soit peu capable de fournir tout ce que ça représente d’investissement, de partage, d’abnégation, d’oubli de soi, d’engagement, d’effort, de principes, de loyauté, au-delà de la base fondamentale des sentiments les plus profonds, ne se limitant pas à une suite de symptômes éphémères et superficiels auquel se trouve souvent réduit l’amour. Car évidemment, la plupart se fient à une espèce de baromètre qui marche aux papillons dans le ventre, à la libido, à la légèreté, et à la « nouveauté ». Alors, dès que la jauge diminue ou se vide, le stade du « plateau » est atteint, interprété comme de la lassitude, de l’ennui, et une mort des sentiments. Et s’ensuit une recherche immédiate de l’adrénaline perdue, de la nouveauté ailleurs, et ainsi de suite. Trouver, plutôt que garder. Recommencer plutôt que continuer.
Le remède à l’amour existe. Il est dans ce que les gens en font. Il n’y a qu’à observer toutes ces histoires qui se finissent mal (en général…) quand elles ne sont pas tout simplement anecdotiques, médiocres, passagères, sans aucun sens ni enjeu, mortes nées, bâtardes. Des milliers, millions d’exemples reproduits à l’infini d’échecs cuisants et de désastres sentimentaux, y compris après des années de relations, même après mariage et famille fondées. Les exemples de réussite dans la réalité sont marginaux. Leur multitude ne tient qu’à un imaginaire collectif, un tentaculaire nuage de fiction qui pourtant regorge de leçons édifiantes en la matière et de lignes de conduite, si elles sont prises au sérieux.
A chacun de voir, selon, si ça vaut la peine de mettre les pieds dans ce coupe-gorge pour y trouver la perle, la personne vraiment fiable avec tous et compatible avec soi, et avec qui construire quelque chose dans le temps.
Je pourrais embrayer sur la désastreuse image de la « mise en couple », qui quand elle se concrétise par un mariage mène au rituel de « l’enterrement de vie de garçon/jeune fille », « enterrement », terme aberrant, inapproprié, oxymorique dans ce contexte et plus lourd de sens qu’on aime le faire croire.
Ce rituel s’inscrit dans une espèce de parcours stéréotypé devenu la norme, favorisant, encourageant, si ce n’est « prescrivant » la liberté totale, l’écoute de ses pulsions/envies/caprices pour « cumuler » de l’expérience, comme on cumulerait des points « s’miles » sur une carte SNCF ou des Points EXP pour un putain de Pokemon menant à son « évolution ». Cumuler du kilométrage pour « fatiguer » le corps, le blaser avant de l’ « enfermer », avoir fait « le tour du sujet », avoir bu plus vite que sa soif pour la semer, l’expérience étant le critère positif et valorisant par excellence, et son absence une espèce de honte, de ridicule, de tare, de faiblesse. Logique consommatrice et capitaliste, encore. La quantité, l’accumulation, la « richesse » fait la qualité, la supériorité et donc la valeur sur le « marché », au lieu d’inspirer la méfiance ou la perplexité. Les excès distinguent et grandissent. Celui qui « profite » (toujours, le profit) peut, une fois « repu », « s’enterrer » sans regret. S’enterrer !
L’état d’esprit de ce rituel, complètement régressif, est celui d’un deuil, celui de la « liberté » et des « plus belles années ». Une insulte à la notion de couple et aux « plus belles années » qu’elle est censée annoncer et non enterrer. Si c’est ainsi qu’on vit les choses, on ne mérite même pas une si belle aventure qui, loin d’être cella d’une nuit est celle d’une vie, loin d’être une fin, n’est qu’un début, loin d’un enterrement une naissance, loin d’une prison le début d’une autre forme de liberté bien plus profonde et épanouissante. Ceux qui vivent la chose autrement qu’ainsi ne méritent juste pas ce qui leur arrive et le bonheur que c’est censé représenter, et s’ils regrettent tant que cela la jungle anarchique et décadente du célibat tel qu’il est pratiqué, qu’ils y retournent et épargnent un futur divorce aux statistiques quand ils auront leur crise de la quarantaine/cinquantaine.
Libres à ceux qui liront ces lignes et qu’elles laisseront incrédules ou perplexes, de projeter toutes les hypothèses, toutes les suppositions, tous les fantasmes sur l’état d’esprit et de vie de leur auteur ! Frustré, aigri, puceau, fraichement largué, divorcé, cocu, péteux vertueux, névrosé, négatif, jaloux, méprisant, prétentieux, désabusé, pessimiste, rétrograde, misanthrope, antipathique, connard, pauvre type, vieux con, réac’, con de Droite, con de Gauche, et j’en passe et des meilleurs ! De spéculer ou de prophétiser mon échec sentimental avec cet « état d’esprit ». Tous les fantasmes sont permis, tous les termes aussi ! Je serai ce qu’il plaira à chacun que je sois pour épouser le mieux possible sa lecture du monde et ne surtout pas trop la troubler. J’ai dit ce que j’avais à dire. TO THE HAPPY FEW.