- 28 mars 2013, 15:08
#646582
Bonjour,
Nous sommes nombreux sur ce forum, et nous avons été amenés ici par une déception "amoureuse" ou juste, pour certains comme moi, dans notre "relation" (j'avoue, je ne crois pas trop à la durabilité des "sentiments amoureux", pas plus qu'à l'immaculée conception)
Ci-joint, un extrait de L'amour liquide, de Zygmunt Bauman, sociologue polonais anciennement en poste à l'université de Leeds (UK).
" Les promesses d'engagement, écrit Adrienne Burgess, « sont insignifiantes sur le long terme ».
Et l'auteur de poursuivre : « L'engagement est un sous-produit d'autres choses : quelle satisfaction tirons-nous de notre relation ; en percevons-nous une alternative viable ; et perdrions-nous un investissment important (temps, argent, propriété en commun, enfants) en cas de départs. » Néanmoins, « ces facteurs croissent et décroissent, ainsi que les sentiments d'engagement qu'éprouvent les gens », selon Caryl Rusbult, « expert en relations » à l'université de Caroline du Nord.
Un authentique dilemme : nous hésitons à faire la part du feu, mais l'idée de dépenser de l'argent pour rien nous répugne. Une relation, vous dira l'expert, est un investissement comme un autre : vous placez du temps, de l'argent et des efforts que vous auriez pu affecter à d'autres buts si vous ne vous étiez abstenu, espérant avoir fait le bon choix et que ce que vous avez perdu ou vous êtes retenu d'apprécier vous serait remboursé le moment venu – avec des intérêts. Vous achetez des actions et les conservez tant qu'elles annoncent un accroissement de valeur, puis vous les vendez à la hâte dés que les profits se mettent à baisser ou quand d'autres actions annoncent un revenu supérieur (le tout est de ne pas rater le moment où cela se produit). Si vous investissez dans une relation, le profit à en attendre est avant tout la sécurité, dans tous les sens du terme : proximité d'une main charitable en cas de pépin, d'une aide à vos malheurs, d'une compagnie à votre solitude, d'une caution en cas d'emprisonnement, d'un réconfort dans la défaite et d'acclamations dans la victoire : mais aussi au sens de gratification qui arrive sans délai dans le sillage d'un besoin. Méfiez-vous cependant : une fois qu'on y est engagé, les promesses d'engagement envers la relation sont « insignifiantes sur le long terme ».
De fait, oui ; les relations sont des investissements comme les autres, mais vous viendrait-il jamais à l'esprit de jurer loyauté aux actions que vous venez d'acheter à un courtier ? De promettre de rester semper fidelis, dans la joie comme dans le malheur, dans la richesse comme dans la pauvreté, « jusqu'à ce que la mort vous sépare » ? De ne jamais regarder en douce là où (qui sait ?) des prix plus importants pourraient vous faire signe ?
Les actionnaires (« détenteurs d'actions » serait plus juste, tant ils ne font que détenir les actions... or, ce que l'on détient, on peut s'en délester) dignes de ce nom consultent les pages boursières de leurs journaux à la première heure pour y apprendre si le moment de se délester est venu. Il en va de même pour l'autre genre d'actions : les relations. Sauf que dans ce dernier cas, il n'existe pas de Bourse, et personne ne se charge de soupeser et d'évaluer les risques à votre place (à moins d'embaucher un conseiller expert de la même façon que l'on engage un conseiller en Bourse ou un comptable agréé, encore que, pour ce qui est des relations, les innombrables émissions de débat-parlotte et mes « téléfilms inspirés de la réalité » s'efforcent de remplacer les experts). Alors c'est à vous de le faire, jour après jour, par vos propres moyens. Si vous vous trompez, vous n'aurez même pas le réconfort de pouvoir mettre votre erreur sur le compte d'un renseignement incorrect. Il faut être sans cesse sur le qui-vive. Malheur à celui qui fait une sieste ou baisse la garde. « Être dans une relation » est synonyme de nombreuses migraines, mais avant tout, de perpétuelle incertitude. On ne peut jamais être vraiment, complètement sûr de ce qu'il faut faire – pas plus qu'on ne peut savoir si on a fait ce qu'il fallait et ce au bon moment.
Le dilemme paraît insoluble. Pire encore, il semble porter en lui un paradoxe des plus déplaisants : non seulement la relation ne satisfait pas le besoin qu'elle était censée (du moins l'espérait-on) contenter, mais encore elle le rend plus éprouvant et contrariant. Vous vous étiez tourné vers la relation dans l'espoir d'atténuer l'insécurité qui hantait votre solitude; mais la thérapie n'a fait qu'attiser les symptômes et vous vous sentez peut-être à présent moins en sécurité qu'auparavant, quand bien même cette insécurité « nouvelle et empirée » jaillit de sources différentes. Si vous pensiez que l'intérêt sur votre investissement dans la compagnie serait payé en devise forte de sécurité, il semble que vous ayez suivi une fausse piste.
C'est là un problème, à n'en pas douter, mais pas tout le problème. Un engagement dans une relation « insignifiante sur le long terme » (ce dont les deux parties sont conscientes !) est à double tranchant. Dans cette optique, la jouissance ou la perte d'investissement est affaire de calcul et de décision – mais rien ne laisse supposer que votre partenaire ne souhaitera pas, si besoin est, exercer semblable pouvoir et ne sera pas libre de le faire s'il ou elle le souhaite et quand il ou elle le souhaitera. Avoir conscience de ce fait ajoute à votre incertitude – et cet ajout est le plus pénible à supporter : contrairement au cas de votre propre choix de type « à prendre ou à laisser », il ne vous appartient pas d'empêcher votre partenaire de se retirer du contrat. Vous ne pouvez pas faire grand-chose pour ramener sa décision en votre faveur. A ses yeux, vous êtes l'action qu'il faut vendre ou la part du feu à faire – or personne ne consulte les actions avant de les remettre sur le marché, ni la part du feu avant de la faire.
En tout cas, ce n'est pas la relation vue comme une transaction commerciale qui soignera vos insomnies. Investir dans la relation est hasardeux, et ça le restera même si vous souhaitez le contraire : c'est une migraine, pas un médicament. Tant qu'on perçoit les relations comme des investissements rentables, comme des garants de sécurité, des solutions à des problèmes, il semble que « pile » l'autre gagne et « face » vous perdiez. La solitude engendre l'insécurité – la relation ne semble pas faire autre chose. Dans le meilleur des cas, on peut se sentir aussi peu en sécurité au sein d'une relation qu'à l'extérieur. Seuls changent les noms que l'on donne à l'anxiété.
S'il n'y a pas de bonne solution à un dilemme, si aucune des démarches soi-disant sensées et efficaces ne nous rapproche de la solution, alors les gens ont tendance à agir en dépit du bon sens, aggravant ainsi le problème et réduisant encore ses chance de dénouement.
Christopher Clulow (du Tavistock Marital Studies Institute), autre expert en relation cité par Adrienne Burgess, conclut ainsi : « Quand des amoureux éprouvent de l'insécurité, ils ont tendance à se construire de façon non constructive, soit qu'ils tentent de faire plaisir, soit qu'ils tentent de prendre le contrôle, peut-être même se débattent-ils physiquement – tout concorde à faire fuir le partenaire. » Une fois que l'insécurité s'est immiscée, impossible de naviguer dans la sérénité, la raison et le calme. A la dérive, le frêle esquif de la relation hésite entre l'un et l'autre des écueils (de sinistre réputation) auxquels plus d'un partenariat est confronté : la soumission totale et le pouvoir total, le consentement docile et la conquête arrogante, l'effacement de sa propre autonomie et le renforcement de celle du partenaire. [...]"
Puisse cet extrait vous avoir intéressé, et vous aider à comprendre que ce que vous vivez n'est pas si personnel que cela : c'est social.
Mes meilleures pensées.
Nous sommes nombreux sur ce forum, et nous avons été amenés ici par une déception "amoureuse" ou juste, pour certains comme moi, dans notre "relation" (j'avoue, je ne crois pas trop à la durabilité des "sentiments amoureux", pas plus qu'à l'immaculée conception)
Ci-joint, un extrait de L'amour liquide, de Zygmunt Bauman, sociologue polonais anciennement en poste à l'université de Leeds (UK).
" Les promesses d'engagement, écrit Adrienne Burgess, « sont insignifiantes sur le long terme ».
Et l'auteur de poursuivre : « L'engagement est un sous-produit d'autres choses : quelle satisfaction tirons-nous de notre relation ; en percevons-nous une alternative viable ; et perdrions-nous un investissment important (temps, argent, propriété en commun, enfants) en cas de départs. » Néanmoins, « ces facteurs croissent et décroissent, ainsi que les sentiments d'engagement qu'éprouvent les gens », selon Caryl Rusbult, « expert en relations » à l'université de Caroline du Nord.
Un authentique dilemme : nous hésitons à faire la part du feu, mais l'idée de dépenser de l'argent pour rien nous répugne. Une relation, vous dira l'expert, est un investissement comme un autre : vous placez du temps, de l'argent et des efforts que vous auriez pu affecter à d'autres buts si vous ne vous étiez abstenu, espérant avoir fait le bon choix et que ce que vous avez perdu ou vous êtes retenu d'apprécier vous serait remboursé le moment venu – avec des intérêts. Vous achetez des actions et les conservez tant qu'elles annoncent un accroissement de valeur, puis vous les vendez à la hâte dés que les profits se mettent à baisser ou quand d'autres actions annoncent un revenu supérieur (le tout est de ne pas rater le moment où cela se produit). Si vous investissez dans une relation, le profit à en attendre est avant tout la sécurité, dans tous les sens du terme : proximité d'une main charitable en cas de pépin, d'une aide à vos malheurs, d'une compagnie à votre solitude, d'une caution en cas d'emprisonnement, d'un réconfort dans la défaite et d'acclamations dans la victoire : mais aussi au sens de gratification qui arrive sans délai dans le sillage d'un besoin. Méfiez-vous cependant : une fois qu'on y est engagé, les promesses d'engagement envers la relation sont « insignifiantes sur le long terme ».
De fait, oui ; les relations sont des investissements comme les autres, mais vous viendrait-il jamais à l'esprit de jurer loyauté aux actions que vous venez d'acheter à un courtier ? De promettre de rester semper fidelis, dans la joie comme dans le malheur, dans la richesse comme dans la pauvreté, « jusqu'à ce que la mort vous sépare » ? De ne jamais regarder en douce là où (qui sait ?) des prix plus importants pourraient vous faire signe ?
Les actionnaires (« détenteurs d'actions » serait plus juste, tant ils ne font que détenir les actions... or, ce que l'on détient, on peut s'en délester) dignes de ce nom consultent les pages boursières de leurs journaux à la première heure pour y apprendre si le moment de se délester est venu. Il en va de même pour l'autre genre d'actions : les relations. Sauf que dans ce dernier cas, il n'existe pas de Bourse, et personne ne se charge de soupeser et d'évaluer les risques à votre place (à moins d'embaucher un conseiller expert de la même façon que l'on engage un conseiller en Bourse ou un comptable agréé, encore que, pour ce qui est des relations, les innombrables émissions de débat-parlotte et mes « téléfilms inspirés de la réalité » s'efforcent de remplacer les experts). Alors c'est à vous de le faire, jour après jour, par vos propres moyens. Si vous vous trompez, vous n'aurez même pas le réconfort de pouvoir mettre votre erreur sur le compte d'un renseignement incorrect. Il faut être sans cesse sur le qui-vive. Malheur à celui qui fait une sieste ou baisse la garde. « Être dans une relation » est synonyme de nombreuses migraines, mais avant tout, de perpétuelle incertitude. On ne peut jamais être vraiment, complètement sûr de ce qu'il faut faire – pas plus qu'on ne peut savoir si on a fait ce qu'il fallait et ce au bon moment.
Le dilemme paraît insoluble. Pire encore, il semble porter en lui un paradoxe des plus déplaisants : non seulement la relation ne satisfait pas le besoin qu'elle était censée (du moins l'espérait-on) contenter, mais encore elle le rend plus éprouvant et contrariant. Vous vous étiez tourné vers la relation dans l'espoir d'atténuer l'insécurité qui hantait votre solitude; mais la thérapie n'a fait qu'attiser les symptômes et vous vous sentez peut-être à présent moins en sécurité qu'auparavant, quand bien même cette insécurité « nouvelle et empirée » jaillit de sources différentes. Si vous pensiez que l'intérêt sur votre investissement dans la compagnie serait payé en devise forte de sécurité, il semble que vous ayez suivi une fausse piste.
C'est là un problème, à n'en pas douter, mais pas tout le problème. Un engagement dans une relation « insignifiante sur le long terme » (ce dont les deux parties sont conscientes !) est à double tranchant. Dans cette optique, la jouissance ou la perte d'investissement est affaire de calcul et de décision – mais rien ne laisse supposer que votre partenaire ne souhaitera pas, si besoin est, exercer semblable pouvoir et ne sera pas libre de le faire s'il ou elle le souhaite et quand il ou elle le souhaitera. Avoir conscience de ce fait ajoute à votre incertitude – et cet ajout est le plus pénible à supporter : contrairement au cas de votre propre choix de type « à prendre ou à laisser », il ne vous appartient pas d'empêcher votre partenaire de se retirer du contrat. Vous ne pouvez pas faire grand-chose pour ramener sa décision en votre faveur. A ses yeux, vous êtes l'action qu'il faut vendre ou la part du feu à faire – or personne ne consulte les actions avant de les remettre sur le marché, ni la part du feu avant de la faire.
En tout cas, ce n'est pas la relation vue comme une transaction commerciale qui soignera vos insomnies. Investir dans la relation est hasardeux, et ça le restera même si vous souhaitez le contraire : c'est une migraine, pas un médicament. Tant qu'on perçoit les relations comme des investissements rentables, comme des garants de sécurité, des solutions à des problèmes, il semble que « pile » l'autre gagne et « face » vous perdiez. La solitude engendre l'insécurité – la relation ne semble pas faire autre chose. Dans le meilleur des cas, on peut se sentir aussi peu en sécurité au sein d'une relation qu'à l'extérieur. Seuls changent les noms que l'on donne à l'anxiété.
S'il n'y a pas de bonne solution à un dilemme, si aucune des démarches soi-disant sensées et efficaces ne nous rapproche de la solution, alors les gens ont tendance à agir en dépit du bon sens, aggravant ainsi le problème et réduisant encore ses chance de dénouement.
Christopher Clulow (du Tavistock Marital Studies Institute), autre expert en relation cité par Adrienne Burgess, conclut ainsi : « Quand des amoureux éprouvent de l'insécurité, ils ont tendance à se construire de façon non constructive, soit qu'ils tentent de faire plaisir, soit qu'ils tentent de prendre le contrôle, peut-être même se débattent-ils physiquement – tout concorde à faire fuir le partenaire. » Une fois que l'insécurité s'est immiscée, impossible de naviguer dans la sérénité, la raison et le calme. A la dérive, le frêle esquif de la relation hésite entre l'un et l'autre des écueils (de sinistre réputation) auxquels plus d'un partenariat est confronté : la soumission totale et le pouvoir total, le consentement docile et la conquête arrogante, l'effacement de sa propre autonomie et le renforcement de celle du partenaire. [...]"
Puisse cet extrait vous avoir intéressé, et vous aider à comprendre que ce que vous vivez n'est pas si personnel que cela : c'est social.
Mes meilleures pensées.
Modifié en dernier par bibi111 le 28 mars 2013, 15:38, modifié 1 fois.