Tototoutseul a écrit :Aujourd'hui j'ai peur de passer cette année seul, de ne retrouver personne et de perdre le courage d'aller vers les autres.
J'ai perdu une partie de moi.
Euh ... non ? Si ta première phrase est sincère, tu as perdu une partie (une fraction infinitésimale, pour être plus exact) des "autres". Pas de "toi". Et tu as perdu le courage de rester avec toi-même. Non pas d'aller vers les autres mais de ne pas aller vers les autres.
Le problème de la fusion mal maîtrisée, c'est qu'elle amène à un retournement sémantique qui me semble quasi-schizoïde. Ici, par exemple, tout ton message se contredit et s'anéantit lui-même systématiquement. Ce que tu appelles "autre" dans la première phrase, tu l'appelles "moi" dans la seconde, et vice-versa. La discrimination altérité/identité étant relativement simple, et accessible à la majorité des mammifères après quelques semaines ou mois d'existence, j'espère que tu prends la pleine mesure, un peu inquiétante, de ce diagnostic.
Il se peut, bien sûr, que je prenne au premier degré un maniérisme poétique. Auquel cas, je te prie de m'en excuser et d'oublier mon message. Mais je trouve quand même les prérequis de la conception moderne de l'amour chez beaucoup de jeunes vaguement angoissants : ça me fait penser aux manifestes flippés qu'on trouvait dans les mouvements les plus hardcore de la gnose chrétienne. Les soeurs convulsionnaires qui voulaient
être Jésus, et à qui on s'adressait en latin avec des vocatifs masculins après les avoir clouées sur leur planche, tout ça tout ça ... Comme si la sainte douleur les faisait carrément changer de sexe. Conviens avec moi que s'il ne s'agit pas d'une parodie d'amour courtois, de secte ou de possession chamanique, c'est quand même un peu destroy, ton machin.
Alors, juste au cas où tu les aurais perdues de vue, je vais te rappeler quelques bases fondamentales :
- Tu n'es pas ta meuf. Ni une partie de ta meuf. Et elle n'est ni toi ni une partie de toi.
- Si tu te projettes sur votre histoire commune au point de perdre le sens de l'identité, le problème c'est toi, pas elle. Et du coup, tu lui donnes toutes les raisons de se barrer, puisque tu lui enlèves ce qui l'a amenée à toi. A moins de tomber sur une narcissique clinique, les filles que tu peux attirer dans ta vie viendront à toi pour ce que tu es, pas pour ce qu'elles sont elles-mêmes. Si tu n'es plus toi-même, elle ne peuvent plus avoir envie et besoin de toi.
- On n'est pas obligé de passer son temps sans les autres, ou sans une autre. Mais on est de toute manière obligé de passer son année, quelle que soit l'année, du berceau au cercueil, avec soi. Le seul moyen d'échapper durablement à soi-même, c'est la prise massive, technique, finement calculée, et à court-moyen terme suicidaire, de drogues. Tu n'as donc aucune raison d'avoir peur de passer cette année avec toi-même : cela arrivera de toute façon, que tu aies peur ou non. Accepte ou va te pendre, je suis pas sûr que t'aies le budget pour les bonbons. Qui ne sont de toute manière qu'un sursis un peu cher, mais qui reviennent à se pendre.
- Tu ne peux pas perdre une partie de toi. Jamais. Tu peux changer, oublier, ajouter des choses, te réformer, te pardonner, te saloper, plonger, tout ce que tu veux ... mais pas te perdre. Tu as fait ce que tu as fait, pour les raisons qui étaient les tiennes quand tu l'as fait. Que tu le redoutes (quand ta meuf te plaque) ou que tu le souhaites (quand t'auras choisi de conduire bourré, ce qui t'aura amené à écraser un clampin sans le vouloir), tu ne changeras pas une virgule dans le livre de ta vie, tu ne perdras pas un atome de toi-même. Et tu seras toujours, pas seulement mais aussi, tout ce que tu as et auras été. Alors autant être tranquille tout de suite : de ce côté-là, il n'y a rien à craindre ni à espérer, jamais.