IWillSurvive a écrit :J'adore "le dernier vœu".
J’admire la qualité d'écriture de
Sainte-Beuve, il est d'une élégance rare.
Edit: Puisque tu apprécies Alfred de Musset:
A Sainte-Beuve
Ami, tu l'as bien dit : en nous, tant que nous sommes,
Il existe souvent une certaine fleur
Qui s'en va dans la vie et s'effeuille du coeur.
"Il existe, en un mot, chez les trois quarts des hommes,
Un poète mort jeune à qui l'homme survit."
Tu l'as bien dit, ami, mais tu l'as trop bien dit.
Tu ne prenais pas garde, en traçant ta pensée,
Que ta plume en faisait un vers harmonieux,
Et que tu blasphémais dans la langue des dieux.
Relis-toi, je te rends à ta Muse offensée ;
Et souviens-toi qu'en nous il existe souvent
Un poète endormi toujours jeune et vivant.
Alfred de MUSSET
À Alfred de Musset
RÉPONSE DE M. SAINTE-BEUVE
Il n’est pas mort, ami, ce poëte, en mon âme ;
Il n’est pas mort, ami, tu le dis, je le crois.
Il ne dort pas, il veille, étincelle sans flamme ;
La flamme, je l’étouffe, et je retiens ma voix.
Que dire et que chanter quand la plage est déserte,
Quand les flots des jours pleins sont déjà retirés,
Quand l’écume flétrie et partout l’algue verte
Couvrent au loin les bords au matin si sacrés ?
Que dire des soupirs que la jeunesse enfuie
Renvoie à tous instants à ce cœur non soumis ?
Que dire des banquets où s’égaya la vie,
Et des premiers plaisirs, et des premiers amis ?
L’amour vint sérieux pour moi dans son ivresse.
Sous les fleurs tu chantais, raillant ses dons jaloux.
Enfin, un jour tu crus ! moi, j’y croyais sans cesse…
Sept ans entiers, sept ans !… Alfred, y croyons-nous ?
L’une, ardente, vous prend dans sa soif, et vous jette
Comme un fruit qu’on méprise après l’avoir séché.
L’autre, tendre et croyante, un jour devient muette,
Et pleure, et dit que l’astre en son ciel s’est couché !
Le mal qu’on savait moins se révèle à toute heure,
Inhérent à la terre, irréparable et lent.
On croyait tout changer, il faut que tout demeure.
Railler, maudire alors, amer et violent,
À quoi bon ? — Trop sentir, c’est bien souvent se taire,
C’est refuser du chant l’aimable guérison,
C’est vouloir dans son cœur tout son deuil volontaire,
C’est enchaîner sa lampe aux murs de sa prison !
Mais cependant, ami, si ton luth qui me tente,
Si ta voix d’autrefois se remet à briller ;
Si ton frais souvenir dans ta course bruyante,
Ton cor de gai chasseur me revient appeler ;
Si de toi quelque accent léger, pourtant sensible,
Comme aujourd’hui m’apporte un écho du passé,
S’il revient éveiller, à ce cœur accessible,
Ce qu’il cache dans l’ombre et qu’il n’a pas laissé,
Soudain ma voix renaît, mon soupir chante encore,
Mon pleur, comme au matin, s’échappe harmonieux,
Et, tout parlant d’ennuis qu’il vaut mieux qu’on dévore,
Le désir me reprend de les conter aux cieux.