Cher.e.s toustes,
Wow. Par où commencer ?
Je suis confinée. Nous sommes très nombreuses et nombreux dans ce cas. Ç'a commencé par des restrictions, de plus en plus strictes, le confinement général devenait inévitable. Mais j'aimerais aussi parler de ce qui s'est passé avant.
Avec mon amant, nous avons continué à nous voir. Une fois nous sommes allés au restaurant. Il a payé, et il est rentré chez lui. C'est la première fois qu'un garçon m'invite comme ça au restaurant, sans attendre du sexe en retour, sans grande occasion particulière, juste pour me faire plaisir. Il y a eu un moment terrible où mon humeur a plongé avec mon cycle hormonal, où mon directeur m'a traitée comme une gamine, infantilisant paternaliste, au point que je pleurais silencieusement à l'autre bout du fil. Le lendemain, un autre homme, le père d'une élève à qui je donne des cours le weekend, m'a traitée de façon similaire, en me disant à demi-mots que je faisais mal mon travail, et qu'il allait m'expliquer comment faire. J'ai pleuré sur le quai du métro, dans le métro. Entre temps il y a eu des manifestations auxquelles j'ai pris part, c'était beau mais épuisant. J'ai revu mon amant, il est resté dormir, resté pour le petit déjeuner, nous sommes restés dans les bras l'un de l'autre pendant deux heures. Puis il est parti, je lui ai écrit que j'avais déjà envie de le revoir, il m'a répondu qu'il me remerciait pour l'accueil - et c'est tout.
Mon moral déjà en berne a encore plus sombré. J'ai attaqué la semaine épuisée et triste, sans nouvelles de lui. Je me suis détestée de me laisser abattre pour un garçon, qui n'est qu'un plan cul, de me laisser pleurer pour un pauvre message. La pression au boulot s'est intensifiée, et j'ai senti que je lâchais prise. Mais je suis accro au travail, alors j'ai continué. Avec l'aide de ma psy et d'une amie, j'ai fini par réussir à demander une pause à mon directeur (j'en étais arrivée à rêver de lui, parler de lui tout le temps, angoisser, etc.) qui me l'a accordée. Mon amie m'a aussi fait envoyer un message à mon amant, un message cash qui lui dit que je quitte Paris dans trois semaines, que j'aime passer du temps avec lui, alors que dirait-il de passer plus de temps ensemble sans prise de tête ? (Cette dernière partie est... pas tout à fait vraie).
Réponse immédiate : oui bien sûr, avec plaisir, je me souviens que tu n'es pas allée au cinéma depuis longtemps, alors faisons ciné-resto-nuit ensemble ? Et mon coeur s'est envolé. Puis les cinémas et les restaurants ont fermé, alors nous avons simplement passé la soirée ensemble chez moi, nous avons cuisiné, rigolé sur les programmes des candidats dans notre arrondissement, sans se lâcher, beaucoup fait l'amour, des câlins, des baisers, des regards tendres. Je lui ai dit que je voulais en savoir plus sur lui, connaître son chez lui, il a dit ok. J'ai senti qu'il se détendait, qu'il s'ouvrait un peu. Il n'a pas peur de la tendresse, pas peur du contact physique, pas peur de dire ce qu'il pense. Je suis mordue ça y est. Je ne veux pas ne plus le voir parce que je déménage. C'était la dernière fois qu'on s'est vu.
Lundi tout s'est accéléré. Mon déménagement a été annulé. Je suis retournée faire des courses en vue de la quarantaine que je pensais passer chez moi, seule, à Paris, dans l'idée que lui habite tout près, à 20min à pieds, qu'on pourrait peut-être essayer de filouter malgré le confinement. Je crois que cette perspective était la seule chose qui me retenait de fuir. Il y aura peut-être moyen de s'arranger a-t-il dit, alors que si tu étais partie dans le Sud, on ne pourrait pas, restons positifs. Maintenant je sais que ça l'emmerde que je déménage.
J'ai un peu travaillé. Une amie m'a appelée, et m'a dit "Janysse, je te connais, tu ne peux pas rester seule". J'ai paniqué. J'ai appelé ma meilleure amie pour lui demander si je pouvais passer la quarantaine avec elle, mais son colocataire a refusé. J'ai paniqué de plus belle. J'ai perdu la tête. C'était en fin d'après-midi. J'ai compris que je ne pouvais pas rester seule. J'ai appelé ma mère, qui m'a dit de rentrer. Là, j'ai passé 2h à trouver un moyen de rentrer. J'ai demandé à Monsieur Tendre (appelons le ainsi, "mon amant" ne convient pas, il n'est pas à moi) s'il voulait qu'on se voit ce soir-là avant que je ne m'en aille, lui aussi envisageait de partir. Il n'a pas voulu, il était stressé, il attendait les annonces du président. Ça m'a paru raisonnable. Après les annonces mon billet a été annulé, mon train supprimé. J'ai encore plus paniqué et passé ma soirée au téléphone avec ma famille, en larmes, à actualiser le site de la SNCF, et j'ai fini par trouver un billet pour le lendemain 9h, jusqu'à une grande ville à 100km de chez moi, où ma famille viendrait me chercher en voiture.
Le bus était vide, le métro aussi, la gare était pleine, le train aussi. Dans la voiture, on m'a fait porter un masque. Nous avons croisé les premiers barrages de police peu après 12h. Et je suis arrivée chez mes parents. J'ai passé la journée à écrire à mes ami.e.s et à M. Tendre, qui m'a envoyé des memes, des photos, des vidéos drôles. Le soir, j'étais couchée à 21h.
Aujourd'hui, je me suis levée tôt, j'ai médité, j'ai petit-déjeuné, j'ai voulu commencer à instaurer une nouvelle routine de travail. Et puis j'ai lu des échanges par Whatsapp avec des ami.e.s. Ma meilleure amie est dépitée parce que son copain qui habite dans un pays frontalier ne pourra pas la rejoindre, qu'ils vont passer la quarantaine séparés, pendant des semaines. J'ai dit que je compatissais, que moi aussi je balisais de pas revoir M. Tendre pendant des semaines, qu'il fallait se souvenir que c'était le cas pour tout le monde. Mais on s'est mal compris. Elle a répondu que non, il y a des couples réunis qui n'ont pas à affronter 1 voire 2 mois de séparation. J'ai précisé que je voulais dire que tout le monde allait souffrir de la situation. Elle a redit que non justement, par exemple une autre amie, elle, avait hâte parce qu'elle allait être confinée avec son copain alors qu'ils sont d'habitude à (longue) distance, que certains étaient avec leurs proches, etc., que tout le monde n'allait pas souffrir pareil. Qu'elle voulait juste un peu d'empathie. Cette empathie qu'elle m'a refusée quand je l'ai appelée en larmes pour la supplier de m'accueillir chez elle. J'ai répondu que j'étais désolée etc., je ne veux pas m'engueuler avec mon amie maintenant....
Une crise de larmes m'a secouée, je n'ai pas pu travailler, j'écris ici depuis une heure. Je suis effondrée. J'ai réussi à rentrer chez ma maman, je ne serai pas seule pendant cette période, mais je suis dévastée par l'angoisse et la peur. Mon père est une personne à risque, or deux personnes dans son foyer côtoient du public chaque jour. J'ai peur. Je pense à Monsieur Tendre et je crève de savoir que je ne reverrai pas avant des semaines. Alors que nous ne sommes pas un couple, que va-t-il advenir de nous ? Est-ce que je vais lui manquer ? Est-ce qu'on va réussir à garder un lien par messagerie, alors qu'on ne se connaît pas tant que ça ? Est-ce que mon amie va me pardonner d'avoir manqué d'empathie ? Est-ce que je vais pardonner à mon amie d'avoir manqué d'empathie ? J'ai l'impression que dans ce marasme ma peur de l'abandon revient au galop, les mauvaises pensées aussi, je me sens nulle d'avoir réagi comme ça alors même que c'est normal, que tout le monde a peur, que tout le monde a mal. Et je sais bien que cela pourrait être pire, je pourrais être seule coincée dans mon tout petit appartement parisien, ou moi-même malade, ou comme Miu, expulsée du pays dès lors que la vie reprendra son cours normal (mais reprendra-t-elle vraiment son cours normal après ?). Et tout ce à quoi je peux penser c'est, "et si j'étais restée, est-ce qu'on aurait pu se voir ?".
Je suis désolée pour ce texte interminable. J'avais un besoin féroce d'écrire tout ça, de mettre des mots, de dire ce qui nous arrive. De dire aussi malgré la peine et la peur, la joie que j'ai d'avoir rencontré Monsieur Tendre, de pouvoir penser à son corps, son odeur, ses beaux yeux bleus, la douceur de ses regards et la tendresse de ses gestes, des choses si jolies comme ce moment où il m'a dit "tu me plais aussi".
Je vous embrasse très fort, et vous envoie tout mon courage et mon amour, à vous qui êtes confiné.e.s chez vous, peut-être seul.e, peut-être le coeur brisé. Je pense à vous toustes, et j'écris aussi pour vous.
À très vite