- 06 août 2023, 12:44
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Coucou tout le monde !
Comme promis, voici quelques nouvelles. Je vais bien. Vraiment bien. Depuis mon anniversaire le temps est passé à toute vitesse. Mes deux chevilles sont fragilisées suite à des mauvaises chutes en grimpant. C'est très emmerdant et un peu flippant pour l'avenir mais je continue d'aller chez le kiné tous les jours depuis fin avril pour réparer tout ça. Je prends soin de moi ainsi.
À la salle d'escalade, à la bibliothèque, dans mon immeuble même, j'ai rencontré tout un tas de nouvelles personnes. Ces mois de juin-juillet ont réellement été marqués par ces nouvelles rencontres qui sont autant de jolies promesses pour la rentrée. J'ai beaucoup travaillé aussi, en essayant d'atteindre les objectifs que je m'étais fixé avant de partir en vacances. Puis de moins en moins à mesure qu'avançait le mois de juillet, car j'étais de plus en plus fatiguée. J'ai néanmoins réussi à sortir ce qu'il fallait et j'ai complètement arrêté de bosser depuis. J'ai décidé de prendre un mois de vacances au lieu de deux semaines, pour prendre des forces pour la dernière ligne droite d'écriture de la thèse à la rentrée.
J'ai un peu fait la fête - mais je ne bois presque plus d'alcool - mais je suis surtout allée à la rivière, à l'escalade, et à la plage le soir pour bouquiner de 19h à 21h, lorsque la plage se vide, avec moi-même pour seule compagnie. Cela fait quelques temps déjà que je connais la joie tranquille de prendre du temps pour soi. Ce besoin d'être seule pour recharger les batteries se fait de plus en plus fort, de plus en plus précis. Et les moments seule de plus en plus délicieux. Avant, la solitude était une véritable souffrance permanente, j'étais en recherche constante de compagnie parce qu'être seule était mon mode de vie par défaut. J'ai souvent été seule enfant et adolescente, jeune adulte aussi. La solitude était normale, mais c'était une fange de douleur dont j'essayais de m'extraire à tout prix car je ne l'avais pas choisie, je ne voulais pas être seule, je subissais ma solitude. Aujourd'hui les choses ont changé. Je ne suis pas devenue une ermite, loin de là. Je passe encore beaucoup de temps seule, mais ma vie sociale est riche et diverse. Et j'aime mes moments seule. Je ne suis plus dans la recherche frénétique et désespérée d'activités sociales, en tout cas beaucoup moins.
Il y a quelques semaines, une de mes meilleures amies, de très longue date, s'est séparée de son compagnon après 10 ans de relation. C'est lui qui est parti. Je voyais le truc arriver depuis quelques années déjà, mais leur relation tenait toujours. lls se sont rencontrés à 20 ans, et c'est typiquement le genre de relation qui me faisait mal au coeur : une relation stable, durable, une vie en commun, des projets - pendant que je vivais rupture sur rupture. Sauf que cette relation n'était pas du tout une relation de rêve. Depuis des années, le sujet des enfants, un des noeuds du problème, était mis sous le tapis (elle en veut, lui surtout, surtout pas). Depuis des années, ils vivaient l'un à côté de l'autre, prenaient même leurs repas séparément (elle doit surveiller strictement son alimentation, lui aime la junk food). Depuis des années, ils ne faisaient plus l'amour. Depuis des années, il était devenu rabaissant et désagréable avec elle. Et aujourd'hui, à 30 ans, mon amie traverse sa première rupture amoureuse et ne sait pas du tout comment s'y prendre. Au-delà du fait que la part blessée et traumatisée en moi se réjouit de voir le début de l'effondrement de tous ces couples stables autour de moi dont l'existence même me faisait du mal - car c'est sans doute le premier d'une longue liste -, je réalise que j'ai eu plutôt de la chance de ne pas avoir passé 10 ans de ma vie avec un mec qui s'en fout un peu de moi, dans une relation frustrante pour tout le monde (ce qu'aucun d'eux n'osait cependant s'avouer), et de ne pas me retrouver à 30 ans sans la moindre idée de comment vivre seule.
Pendant tout ce temps, j'ai souffert, énormément, vraiment beaucoup, vous le savez très bien, mais je me suis construite. Et lorsque j'ai ma meilleure amie au téléphone en larmes, plusieurs fois dans la semaine, je me dis mais quelle joie de ne pas être dans la même situation, de ne plus être dans cette situation, le coeur brisé par un mec qui me traite mal, triste à mourir et vidée de toute énergie à force d'avoir pleuré. Je suis tranquille comme ça et ça me rend heureuse. Et je suis de plus en plus solide. Bien sûr il m'arrive de me sentir seule. La vision, dans le village cévenol où je passe deux semaines de vacances chez des amis, de couples trentenaires avec de jeunes enfants me gifle le coeur. Et si ça ne m'arrivait jamais ? Et si je restais célibataire toute ma vie ? Et si personne ne voulait m'aimer plus d'une année comme les trois derniers ?
Je suis en vacances dans ce petit village cévenol où je m'étais réfugiée l'été dernier pour cuver mon chagrin après la rupture avec mon ex. Je mesure le chemin parcouru avec beaucoup de joie. Ces derniers jours j'ai beaucoup pensé à mon ex. Je me suis surprise à être très nostalgique de cette relation lorsqu'elle allait bien. Il me manque encore. Ce que nous étions me manque encore cruellement. Je pense à ses cheveux, à ses yeux, à son corps, à son odeur. La cicatrice est encore là, elle le sera peut-être toujours mais elle s'efface petit à petit. Je passe beaucoup de temps à la rivière, à lire, à me baigner, seule, tranquille. Je guéris ainsi.
Je reviens aussi de trois jours de rassemblement militant écolo gaucho. Trois jours de camping, trois jours de vent et de pluie, trois jours de discussions, conférences, ateliers, formations. C'est le genre d'évènement qui donne une dimension supplémentaire à l'existence, au-delà des tracas quotidiens et des blessures individuelles, il s'agit de penser ou panser ensemble un avenir commun dont la possibilité même est menacée de toute part. Je découvre la joie militante, le sens qu'elle peut donner à une vie.
Ce que je traverse actuellement n'est pas un simple rebond post-rupture, que j'ai vécu à de nombreuses reprises, souvent si ce n'est toujours suivi d'une rechute, de l'impérieuse nécessité de me réfugier dans une nouvelle relation ou du désespoir d'une solitude impossible à apprivoiser. Ce que je vis est différent. Je me construis en tant que femme adulte et autonome émotionnellement, en tant que personne responsable de mon monde et du monde que je partage avec d'autres. Cette construction n'est pas vécue sur le mode extatique et euphorique de la reconstruction post-rupture. Elle est lente, profonde, durable.
Je suis partie avec des amis à ce rassemblement. Je me suis dit que j'allais peut-être y rencontrer un beau militant écolo avec qui passer la nuit. J'ai même acheté des capotes, sait-on jamais ! À peine arrivée, après quelques conférences avec mes amis, je me suis dit que c'était mort, je me suis trouvée un peu ridicule et j'ai laissé tomber l'idée en riant de moi-même avec beaucoup de tendresse. Et puis hier, j'ai rencontré ce gars, à une projection. C'était furtif, c'était presque rien. On a discuté un petit moment, il m'a touché le bras, j'ai compris. On s'est recroisé plus tard dans la journée. Entre temps j'avais décidé de partir le soir-même, le climat était hostile, je n'étais pas bien équipée, et la perspective de passer une nouvelle soirée dans le venté glacé et la pluie, puis une mauvaise nuit en tente me paraissait insurmontable. Je lui ai dit que je partais. Je lui ai souhaité une bonne fin de festival, je suis partie. J'ai à peine fait deux mètres, je me suis retournée, il s'était retourné aussi. Nous sommes revenus sur nos pas. On s'est regardé en silence. Je lui ai demandé où il vivait. "Paris, ça fait un peu loin". J'ai dit oui. "C'est dommage". J'ai dit oui. Et nous sommes repartis. Je ne sais même pas comment il s'appelle, je ne le reverrai sans doute jamais. Je ne lui ai pas donné mon numéro, il ne m'a pas donné le sien. Je ne voulais pas me mettre dans un truc où j'attendrais un message ou autre, je ne voulais pas avoir l'esprit encombré par ça. Si j'étais restée nous aurions passé la nuit ensemble, mais ce n'est pas le choix que j'ai fait. J'avais trop besoin de rentrer. J'ai retrouvé mes amis, nous avons démonté les tentes. Je pensais à lui en me demandant si je faisais une erreur. J'y pense encore. Pendant un petit moment, j'ai senti mon coeur battre plus fort, la chaleur me monter aux joues, quelque chose griffer au fond de mon ventre, quelque chose qui dit "Tu vois, c'est encore possible". C'est tout ce que j'emporte de ce joli moment. Tu vois, c'est encore possible. Il a peut-être passé une nuit de plaisir avec une autre fille, en tout cas je le lui souhaite, avec toute la tendresse qu'on peut avoir pour un inconnu qui, d'un regard bleu qui s'ignore, répare un petit peu de nos fêlures intimes.
J'écris tout ça avec les larmes aux yeux. Ce n'est pas de la tristesse. C'est de la gratitude. La gratitude, ce n'est pas une explosion de joie féroce, c'est une sensation douce amère au creux du ventre, c'est un merci qui palpite entre les côtes, c'est un sentiment d'appartenance qui ressemble à la reconnaissance, après un long voyage, d'être rentré chez soi. Je suis mon propre chez-moi.
Et je sais où je vais. Il me reste 15 jours de vacances pour me reposer avant la rentrée. Je vais finir ma thèse. Je vais grimper, beaucoup. Je vais prendre soin des relations nouvelles que j'ai nouées. Je vais continuer à m'aimer comme j'ai appris à le faire depuis un an. Je vais vivre et être heureuse, parce que j'en ai le droit.
Voilà, je vais bien, vraiment bien.
Je vous embrasse fort.