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#894966
Bonsoir,

Constatant le niveau de "culture gé" chaque jour plus alarmant sur ce forum, je tiens à perpétuer l'antique tradition de la pédagogie gratuite, si chère aux autodidactes et aux cancres orphelins du "système" quel qu'il puisse être. C'est pourquoi je tenterai de vous présenter ici chaque jour un mot rare, désuet, précieux, argotique ou trop souvent malmené.

Il ne s'agit que de mots que j'aime, pour les mérites de leurs sens, leur étymologie ou histoire, les oeuvres où j'ai pu faire leur connaissance, ou plus simplement leur son. Il est donc évident que certains biais de ma subjectivité (biais thématiques très certainement, biais psychiatriques peut-être ?) ne sauraient être évités. Loin de le déplorer, je m'en réjouis par avance. Ainsi aurez-vous le privilège de me connaître si vous le souhaitez, en sus de nouveaux mots que je vous offre pour étoffer votre vocabulaire resté trop longtemps en jachère.

Il se peut que LMDJ en vienne à s'ouvrir au champ des concepts et des abstractions pures, sans quitter celui des mots. Je ne doute pas que cette disposition vienne à en contrarier certains, la lecture d'une Encyclopédie étant souvent plus fastidieuse que celle d'un dictionnaire. Je m'en soucie comme d'une guigne et les invite à se faire pendre ailleurs s'ils ne sont pas contents. La clef du paradoxe est que ce thread ouvert à tous, destiné à l'instruction (et dans une certaine mesure à l'édification) des masses est aussi, d'abord et surtout ... élitiste. L'abomination est lâchée. Partagez-la vous et voyez ce qu'en pouvez tirer.

EDIT : Je précise que ce fil étant mon cadeau au forum dans son ensemble, j'entends le préserver de toute disruption intempestive. Le premier écart sera immédiatement porté devant la modération. Ceux qui me connaissent savent que je garde d'un oeil moins jaloux mes interventions habituelles, et que je n'ai pas pour habitude de me plaindre à qui que ce soit pourvu que l'intérêt général soit sauf. Mes détracteurs pourront donc me porter querelle sans crainte de délation s'ils le souhaitent, mais certes pas sur ce fil qui restera sans tâche. Les "pauvres tâches" en question pourront donc me prendre à partie ... ailleurs. De toute façon, comme les glorieux Rebatet ou Brasillach avant moi : "Je suis partout".
Modifié en dernier par Perdu de Recherche le 28 mai 2014, 02:59, modifié 2 fois.
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#894967
Et ce soir, LMDJ est ... rudéral.


Ce terme, d'origine botanique, désignait à l'origine la flore poussant spontanément dans les ruines et les décombres, les gravats. Une licence poétique ambiance "fin de siècle" permettra de l'étendre sans difficulté à ces sentiments, ces considérations qui ne naissent ou ne vivent que par et pour les ruines.

J'aime ce mot :
- pour sa sonorité, cette allitération qui vient assouplir la rigueur du "r" comme le vent vient dégrossir les arêtes des ruines qu'il invite dans l'esprit des amis de Byron, Hugo, Poe ...
- sa terminaison rare qui me fait penser à "sidéral".
- pour les possibilités qu'il offre en matière d'anagrammes : un mot court qui emmène tout de même avec lui 3 voyelles (différentes), et un "l" toujours bienvenu. Deux "r" qui ne coûtent pas trop cher et se recasent facilement.
- parce qu'en bon misanthrope, les ruines me hantent que j'ai hantées. Juste retour des choses.

A demain, pour un nouveau mot du jour.
#895313
LMDJ est ... pierreuse.


Comme il advient parfois, ce mot féminin ne désigne pas l'équivalent de son homologue du sexe fort. "Pierreuse" n'a donc rien de plus à avoir avec "pierreux" (le maçon) qu'une femme publique avec un homme public. Et comme il advient toujours, cette fois, il sert à désigner l'amourette mercenaire.

Si le pierreux est l'animal de chantier qui travaille la pierre (nous ne parlons pas ici du contremaître ou d'artisans qualifiés mais des bêtes de somme), la pierreuse, elle, est vouée à polir les chairs. Et l'on ne trouve guère la variante masculine que dans l'expression toute faite "con pierreux".

De nos jours, il m'est arrivé d'entendre un autre sens plus moderne au mot "pierreuse", dans la bouche de certaines sahéliennes qui moisissent sur (et en même temps que) leurs matelas, à l'abri des ponts et recoins qu'offrent les quais (Loire, Seine, Valmy ...) du bassin de la Villette et du canal Saint-Martin. C'est dans ce charmant trou perdu, coincé entre Stalingrad et Jaurès, cette "DMZ" éternellement écartelée par la turbulence bariolée du XVIIIème et l'ennui poussiéreux du XIXème, que le mot ressuscite : la "pierreuse" y est désormais la consommatrice de crack, toujours à la recherche de son caillou (de la craie au médoc, dans la plupart des cas, mais les âmes charitables s'abstiendront d'arracher son effet placebo à notre pierreuse).

Il est amusant de songer que le Verbe triomphe toujours des moeurs et du "Progrès" pour peu qu'on lui en donne le temps : 70 ans ou 80 ans de silence et un nouveau sens ... pour en revenir au même point. Qu'on songe un instant que les "pierreuses" d'aujourd'hui ont le "con pierreux" d'hier, et que sous ces ponts pourris où la chair rouille (à moins que ce ne soit la chair qui pourrisse sous les ponts rouillés, c'était il y a si longtemps ...), le "caillou" ne se monnaie guère qu'en faveurs horizontales. De la pipe en chair à la pipe de verre et vice-versa, ces braves pierreuses à la gorge toujours bien remplie perpétuent les pierreuses d'autrefois. "La pipe à un caillou" a survécu à "la pipe à 2 sous", ce qui réjouit mon âme de grammairien.

Note de précaution, tout de même, aux touristes de la misère qui voudraient s'amuser comme moi au bord de l'eau : Laissez votre honneur, mais de grâce, apportez vos capotes. Si un bout de la galette qui achète tout se trouve à moins de 3€, les vénériennes gratuites qui l'accompagnent viennent pour ainsi dire ... "en suce".

Bonsoir.
#895661
LMDJ est ... quart d'heure de Rabelais.


Le "quart d'heure de Rabelais" désigne ce moment particulier, si dur pour les enfants pauvres et si drôle pour les enfants riches, où l'on se trouve ou se présente sans argent pour payer la note.

Cette locution vient d'une anecdote, vraisemblablement fictive ou romancée : Rabelais, se trouvant un jour démuni à Lyon à l'heure de payer la note de son auberge, et sans moyen de s'enfuir à Paris, aurait eu l'ingénieuse idée de remplir deux sachets de sucre, de les cacheter, et de demander à les faire descendre avec le reste de ses affaires, non sans avoir inscrit préalablement "poison pour le Roy" sur le premier, et "poison pour la Reine" sur le second. L'aubergiste, alarmé, avertit la maréchaussée qui ramena le prisonnier jusqu'à la capitale. François Ier, après avoir reçu l'explication, aurait réglé la note de l'aubergiste (remise par ses bons soins aux gens d'armes) et offert une dague précieuse à son ami entre deux quintes de rire.

Les quarts d'heure de Rabelais les moins dangereux et les plus drôles sont d'après mon expérience ceux qui permettent d'enculer ces usuriers de taxis G7, en les piégeant intelligemment dans une zone choisie à l'avance pour le dédale inextricables de sens uniques qui l'environnent. Ne reste plus qu'à arrêter le taxi, l'informer qu'on doit monter chercher l'argent pour le payer, et partir. Certaines adresses dont j'ai établi une liste inestimable permettent en sus de se foutre de sa gueule en lui faisant des bras d'honneur et en l'invitant à nous pourchasser sans le moindre risque : les passages piétons, les galeries, la circulation et les sens uniques font qu'en restant dans le champ visuel du malheureux chauffeur quasiment tout le long, il est possible de s'enfuir à moins de 2 km/h sans qu'il puisse jamais nous rattraper en bagnole ni sans possibilité de laisser la voiture pour nous courir après. Ces "hit & walk by" sont à ce point plus savoureux que le traditionnel "taxi-basket" que je les réserve pour les moments de grande déprime et mes courses les plus longues (retour d'aéroport en heure de pointe, etc). Les bars de luxe sont aussi fort prisés des amateurs et sont le théâtre de certains quarts d'heure de Rabelais les plus subtils et les plus élégants. En particulier depuis qu'une ordonnance scélérate du plan vigipirate impose aux hôtels du territoire national de recueillir une pièce d'identité de leurs hôtes premier que de mettre une chambre à leur disposition.

A l'inverse, les quarts d'heure de Rabelais les plus pénibles et les plus dangereux font intervenir des putes dont on ne connaît pas le souteneur. Lequel peut être un serbe fou caché à 50 mètres. Je les déconseille à tous et vous supplie de considérer qu'un "quart d'heure de Rabelais" a tôt fait de redevenir un simple "sale quart d'heure" ...

Bonsoir.
#896217
LMDJ est ... thébaïque.


Thébaïque signifie tout simplement "composé d'opium ou de l'un de ses dérivés". Et je l'ai choisi parce que ce mot :
- ne sert et ne servira sans doute plus à rien : une racine obscure, savante et artificielle, aucune descendance ni aucun moyen de le faire évoluer dans l'avenir
- renvoie à une culture que j'aime bien et que l'héroïne a définitivement tuée en Occident : Celle de l'opium mellow et goûtu. Des blends au tabac syrien dans les longues pipes chinoises. Du laudanum et autres teintures composites. Des électuaires, thériaques, toniques et panacées ... Pêle-mêle, en somme, les alchimistes, les débuts de la médecine, la préhistoire et l'antiquité indo-européennes, les aliénistes et leurs démonopathes vésaniques, la mystique universelle, l'orientalisme, les harems des derniers jours du califat ottoman et les prostibules fauchés d'Amsterdam ...
- sonne vachement bien, avec son "th" alla greca et sa diphtongue finale
- fait penser à "Thèbes" et à tous les délires alchimiques et ésotériques qui vont avec, les "mystères thébains" (partouzes antiques sur fond sado-maso avec une symbolique de mommy issues)
- m'a permis de placer "électuaire", "thériaque", "vésanique" et "prostibule" en une seule phrase, ce qui n'est pas rien : bon potentiel de payoff par recoupement
- me permet de boucler LMDJ en vitesse, car je suis paresseux et pressé.

Sur ce, je file vite tuer ma nuit ailleurs, on m'attend.

Bonsoir.
#896616
LMDJ est ... In girum imus nocte et consumimur igni.


Cette maxime ancienne (attribuée à Virgile par certains) se traduit littéralement par "En rond, nous allons de nuit et nous consumons dans les flammes". Ou, plus élégamment "Nous tournons en rond dans la nuit, et sommes dévorés par le feu".

L'ensemble présente plusieurs intérêts, que voici :
- le plus évident est qu'il s'agit d'un palindrome. L'un des plus beaux qui soient, avec le premier palindrome de langue anglaise ... Lewd did I live & evil I did dwel' (1614) : Dépravé vivais-je, malfaisant je dormais.
- la précieuse opacité de ses origines ne nous permet pas de savoir s'il s'agit d'une simple astuce poétique sur les papillons de nuit, ou d'une malédiction destinée à tourmenter éternellement une âme, une réflexion d'ordre général sur la condition humaine, ou un commentaire cynique de la caverne platonicienne. On a vite fait, par ailleurs, de l'utiliser comme indice pour backer une énigme en société, puisque la phrase vaut pour à peu près tout et n'importe quoi, à condition qu'on l'examine sous un jour suffisamment déprimant. Tolkien, latiniste accompli, fait d'ailleurs un petit clin d'oeil à ses camarades de souffrance et de déclinaisons en l'appliquant à l'Anneau Unique, comme quoi ...
- puisque personne ne sait vraiment d'où ça vient, il est toujours possible (et facile) de contredire celui qui cite le bon mot, quels que soient l'auteur et la date qu'il lui prête. C'est donc un outil merveilleux pour troller dans les salons ou emmerder un péteux en lui demandant s'il sait seulement qui a pondu la phrase, avant de l'inviter, avec un ton condescendant et suave, à faire ses recherches en rentrant, au lieu d'ouvrir sa gueule à tort et à travers ... connard !
- on peut habilement le caser comme "citation de clôture" pour se foutre de la gueule de son interlocuteur, qui sera bien infoutu de le récuser comme "mot de la fin" dans l'éventualité rare où il parlerait suffisamment le latin pour le traduire à l'arrache. Je terminais la moitié des mes disserts en philo avec des conneries du genre, qui veulent tout dire et rien dire, sans jamais réussir à déterminer ce que le pigeon de prof avait bien pu entendre là-dedans. A l'oral, déclamer le morcif avec un air à la fois pontifiant et entendu fait tout le sel de ce petit coup de bluff. Et ça claque mieux que "C'est pas faux".
- parce que vous aussi, oui, vous qui n'avez rien d'autre à foutre que de lire mon inventaire abstrus de miscellanées poussiéreuses, vous tournez dans la nuit et serez dévorés par les flammes. Mais en attendant ...

Bonsoir.
#897035
LMDJ est ... tenségrité.


La tenségrité, mot-valise composé de "tension" et "intégrité", désigne un principe structurel en biologie, et par extension, en architecture. Il se rapporte de manière générale à la statique, plus rarement à la mécanique. Son objet est la constitution de structures ou systèmes rigides quoique discontinus, grâce aux forces de tension et d'équilibre internes. Plus simplement, comment faire pour qu'un dôme gigantesque (donc lourd) tienne debout sans pilier ? Réponse : En le fabriquant avec des éléments qui vont se maintenir les uns les autres, de telle manière que tout le poids du dôme soit renvoyé sans perte vers ses bords. Le dôme est alors dit géodésique, et la Géode (dont le nom doit vous sembler plus clair à présent) en est un bon exemple. La tenségrité est aussi ce qui fait qu'il faut 200 fois moins de force pour casser un oeuf parfait en l'appliquant sur le côté que sur ses deux pôles.

La tenségrité est aussi ce qui fait tenir debout cette connerie, dont voici 3 vues choisies.

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La tenségrité est un outil intéressant en biologie descriptive, tant au niveau cellulaire (pour les enragés du cytoplasme) que macroscopique (pour les anatomistes). Et on a vu qu'elle "marchait" en architecture, même si pour l'heure elle sert surtout à saloper la Défense, qui est déjà bien laide, et à faire tenir debout les sculptures mégalos d'onanistes danois. Bon. Mais sans évoquer le cas de ces "cancres mystiques" qui se plaisent à malmener des mots qu'ils comprennent mal pour vendre leur sousoupe, comme Castaneda et sa "tenségrité magique" (sorte de tai chi pour hippies), la tenségrité nous permet surtout d'intuiter le rapport de "cohésion élastique", la capacité de "ressort interne" qui unit certains concepts, certains phénomènes. Il permet par exemple de mieux se figurer dans des domaines à forte arborescence comme la logique formelle, la métaphysique, l'épistémologie ou l'ontologie, la notion de codépendance et son effet structurel. C'est-à-dire, de pénétrer la disjonction apparemment paradoxale qui se tient derrière une concomitance (coïncidence de deux phénomènes simultanés) et le juste rapport de causalité bijective auto-entretenue. Plus simplement, de mieux appréhender la double réalité d'un système : locale et globale, tactiquement et stratégiquement, etc. Quiconque a approché un goban en comprend sans mal l'intérêt.

C'est donc tout naturellement que certains ésotéristes du dernier siècle ... et certains physiciens quantiques (qui ne sont jamais qu'une "marque" particulière d'ésotéristes, au demeurant) ont abondamment recyclé ce terme, qui leur fournissait une analogie efficace et concrète à l'usage de leurs impétrants. Ce qui vous a sans doute donné l'occasion de l'entendre sans bien le comprendre, que ce soit sous la férule d'experts en management las de la "synergie" si chère à la startup des années 80/90, ou dans les articles pseudoscientifiques des grands magazines de vulgarisation. J'espère avoir débrouillé un peu ce mot plus barbare que complexe, et n'en dormirai que mieux si j'ai atteint mon but.

Bonsoir.
Modifié en dernier par Perdu de Recherche le 30 juin 2014, 18:07, modifié 1 fois.
#897460
Moi, ce qui me manque, surtout ... c'est les "Mr. Dictionnaire, la terrible Encyclopédie humaiiiiiiiine" des foires d'antan. Avec des ploucs qui essayaient de "coller" un mec pour 1 franc, et la possibilité d'en gagner 10 si la réponse était jugée insatisfaisante par la moitié de l'assemblée. Je ne sais pas si vous avez connu, ça. En France, ça ne se trouve plus vraiment, mais en Pologne, ça m'a permis d'entendre certaines des discussions les plus passionnées qui furent jamais. Et il y a tout ce que j'aime dans cet exercice : 20% de culture gé, 30% de rhétorique, 50% de bluff et de franche mystification, un bonimenteur, un risque financier ... C'est le "poker" des grosses têtes et y'a rien de plus drôle à voir qu'un plouc polonais qui a fait 2 ans de fac de bio essayer de garder sa contenance pendant qu'il explique la "métempsycose toltèque" à un plouc polonais qui n'a pas fait ses 2 ans de fac devant un public chauffé à blanc. Si j'avais vraiment pu me choisir une carrière librement, c'est ça que j'aurais fait.

En tout cas, je me réjouis que le fil vous plaise.
#897653
LMDJ est ... déréliction.


La déréliction est souvent utilisée de nos jours par les cons, les prosaïques et les demi-auteurs qui surfent sur la vague de la littérature contemporaine comme des alevins sur un remous de vase, avec le sens de "solitude". On pourrait considérer que c'est là le sens exact de ce mot, tel que vous le rencontrerez un peu partout.

Mais alors, pourquoi créer un terme savant, avec une racine aussi particulière et puissante que "relinquere" (relier), s'il ne s'agit que d'évoquer la solitude. La réponse est à chercher, comme bien souvent, dans les contraires. Et le contraire étymologique de la déréliction est ... la religion (même racine, évolution vernaculaire et non savante). La religion est à la déréliction ce que la compagnie est à la solitude. Mais pas plus que traîner dans une foule ne permet d'appréhender le sens de la "religion", la solitude ne renseigne jamais sur la la déréliction.

La déréliction, tout d'abord, désigne un sentiment plus qu'un état de fait. Être seul ou isolé est du domaine de la réalité objective. La déréliction, comme l'abandon, est aussi un sentiment. A la différence de l'abandon, en revanche, c'est d'abord et avant tout une métaphysique. Ce n'est pas le constat de son isolement ou le sentiment qu'il peut faire naître, c'est la pleine conscience métaphysique, holistique d'une absence de lien. C'est un aperçu, au-delà du concept et du sentiment, de la déconnexion avec toute forme de transcendance : En clair, c'est une immanence qui s'impose à vous.

C'est ce retour compulsif et angoissé de la conscience à elle-même qui permet de bien comprendre de quoi Baudelaire parlait quand il évoquait le "ciel bas et lourd [qui] pèse comme un couvercle", et qui vous livre, pieds et poings liés, à bien autre chose que la solitude ou l'isolement : à rien moins que vous-même, dans toute votre inquiétante étrangeté. Votre conscience, limitée, cassante comme du verre, pour tout refuge. Votre propre mort insignifiante, si insignifiante qu'elle en paraît contingente ... et inéluctable, pourtant, comme seul horizon eschatologique. Et avant cette mort qui n'en est pas une tant elle est dérisoire, plus de cosmos, plus de chaos, plus de "rien" même : rien que l'étranger. Tout ce que vous avez pu connaître, apprivoiser, tout ce sur quoi vous avez pu compter, ces valeurs dont vous avez voulu croire qu'elles vous composaient, votre "fibre", votre Dieu et votre athéisme, plus rien ne vous connaît. Et tous vous renvoient à vous-même, à la manière de ces "amis" qui vous claquent la porte au nez dans les moments de détresse. Tous vous renvoient à cette maison vide aux murs infinis mais sans toit, qui vous emprisonne sans vous protéger. Tous vous renvoient à ce "puits sans fond" dont vous êtes le fond inexistant, et au dessus duquel le zénith même semble un nadir, tant le jour s'y fait noir.

Telle est la vraie nature de la déréliction. Ni une solitude, ni un isolement, ni un abandon, c'est le reflet grotesque d'un miroir déformant, l'écho glaçant et fou d'un monde qui ne vous connaît plus et que vous entendez bourdonner dans les oreilles d'un autre. Devenu l'alien de l'alien et l'aliéné de l'aliéné, vous ouvrez vos yeux et ne voyez plus que cette armée de caricatures, à perte de vue, qui vous imitent et vous travestissent sans jamais vous ressembler.

Nous ne nous connaissons plus, et je me souviens tout à coup qu'il est tard. Je m'esquive. Rien de personnel, vous vous en doutez bien. C'est juste que chacun a ses petits problèmes à traiter, pendant que l'heure tourne ...

Bonsoir.
#898971
Je n'avais pas osé poster sur ton threat pour ne pas gâcher tout ces mots et la description/histoire que tu leur attribues mais puisque que ça a été fait, autant que je donne mon avis. J'trouve ça vraiment bien comme concept, je te lis tous les soirs si pas le matin, ça me met de bon humeur. Je ne peux que t'encourager à continuer. J'ai hâte de lire le prochain mot !
#899045
Je suis vraiment désolé pour les rares que ça faisait marrer. C'est juste qu'il me fallait une dizaine de minutes pour choisir un mot intéressant, et encore une vingtaine de minutes pour le "tailler" un peu. Et cette semaine de merde ne m'a pas laissé cette modeste demi-heure de nuit dont j'avais besoin. Dès ce week-end, je remettrai mon licol si tout va bien.
#1162838
LMDJ est ... koro.


Le koro est historiquement une psychose collective, particulière en celà qu'elle se définit sur un plan ethno-culturel, qui touche à la certitude d'une rétractation partielle ou totale du pénis dans l'abdomen. D'origine malaise (et non pas malaisienne, n'hésitez pas à vous intéresser à la nuance), le terme a progressivement été étendu à tout symptôme similaire dans l'ensemble de l'Asie du sud et de l'est.

Ce glissement de sens a ceci d'ambigu, selon moi, qu'il entend préserver le caractère ethno-culturel du syndrome (et n'inclut à ce titre jamais, sous la plume d'auteurs sérieux, les célèbres "vols de sexe" de l'Afrique occidentale, ni certaines hallucinations collectives d'Europe telles qu'on pouvait en rencontrer pendant les épisodes "d'ardents de Saint-Antoine" qui craignaient pour leur matos), tout en brassant pêle-mêle des nippons contemporains, des ligues communistes chinoises du début du siècle, et des malais vieux de plus de 1000 ans ... autant dire des êtres sans le moindre rapport ethno-culturel, précisément.

Encore faut-il ajouter à cette confusion la médicalisation progressive du mot, qui a définitivement ruiné la spécificité, la valeur historique et le caractère culturel d'un concept qu'elle prétend justement définir sur ces plans. Ainsi, peu à peu, le koro a quitté le domaine des phénomènes folkloriques et charmants de la Malaisie Péninsulaire pour rejoindre celui, non moins folklorique mais nettement plus casse-gueule, du diagnostic psycho-clinique. On le trouvera par exemple dans la DSM. Le syndrome est maintenant établi sur une base individuelle (ce qui le ramène aux simples superstitions cliniques d'impuissance telles qu'on les connaissait déjà en Chine, notamment), et l'a progressivement dépouillé de toute symbolique et de toute magie ... ce qui sape totalement à mes yeux sa dimension culturelle.

Cette double scorie évidente m'a toujours rendu le nom sympathique, comme témoin fidèle de l'eurocentrisme des primes théories aliénistes, des tentations eugéniste et essentialiste qui ont survécu dans la psychiatrie moderne, et de l'hypocrisie profonde mais omniprésente dans chaque rencontre entre la sociologie, l'ethnographie et la "médecine de l'âme" de la fin du XIXème. J'aime ce mot, non pas pour ce qu'il dit des pénis en Asie orientale, mais du vieil homme blanc casaqué de sa blouse blanche aussi, dans l'oeil duquel se perdirent tant de bites jaunes. J'incline d'ailleurs bien volontiers à penser que, comme le veut l'antique sagesse populaire, sa myopie pourrait venir de ce qu'obsédé par la paille dans l'oeil du voisin, il aurait pu manquer de remarquer le braquemart dans le sien ...

Je remercie ceux qui auront pris le temps de me lire retaper ce thread poussiéreux, à grands coups de bite et de niacoués flippés sur trois paragraphes, et leur promet prochainement des contemplations plus éthérées dans LMDJ (garanties sans couilles d'inuits ni trous de balle d'évangélistes).

Bonsoir.