Il y a des années ils se sont connus. Elle a été attirée dès le premier regard, par son allure élégante, par ses yeux dont la couleur brille comme la peau d'un arbre brille sous le soleil, par sa première question qui était bizarre et troublante, et surtout, par son esprit éperdument perdu, son caractère aventurier rempli de spontanée, de folie, d'improvisation, et de tristesse profonde.
Elle a tout de suite compris qu'elle était amoureuse, que c'était un coup de foudre, peut - être le seul dans sa vie. Elle a tout de suite compris, quand il s'est plié à ses genoux, comme un fou, dans la rue, la nuit, pour lui demander l'autorisation de tenir sa main. C'est le type du mec qu'elle a toujours attendu. Et lui, demeure comme un être parfait de son idéalisation, entre la beauté et l'aspect taré, la profondeur et la légèreté, l'élégance et la destruction, l'amoureux et l'ennemi. Il l'a envahi son coeur, dès le premier instant.
Elle s'en rappelle de tout de lui. Sa première copine vietnamienne fofolle qui l'a largué comme une merde et a tué la moitié de son âme. Il l'aime toujours, non, c'est justement qu'il croyait l'aimer toujours. Elle est son illusion, son allusion. Et en réalité, c'est lui qui a renfermé lui - même dans sa prison illusionnée à la fois allusionnée. C'est lui, le héros têtu de l'idéologie d'amour fidèle, le pauvre largué, le séducteur éternel, le monsieur donjuan et tendre, rêveur et vagabond, et perturbé.
Il y a des années encore, elle s'en rappelle de son coup de téléphone en pleine solitude le jour de Pâques. Il était là, a décroché immédiatement, a reconnu sa voix immédiatement malgré un bon vieux temps. Il lui a fait la promesse de la rappeler après. Puis rien...Elle l'a attendu, l'a attendu, attendu. Mais toujours rien.
Puis il se plonge dans les affaires politiques. Elle le savait, comme elle savait toujours tout ce qu'elle voulait savoir, tôt ou tard. Mais elle croyait qu'il a trouvé sa sortie du tunnel. Oui, c'est beau de s'occuper de ses milliers habitants de sa région, de mettre en valeur ses montagnes, ses lacs, ses petits après-midi avec les vieux du village, ses longues journées blanches d'hiver. Elle croyait qu'il allait bien, et qu'au lieu de consacrer son énergie aux conquêtes infinies, il se lançait à apporter aux gens la meilleure condition de vivre. C'est beau et prometteur.
Puis des années après elle savait qu'il était toujours pareil, autant perdu, autant rêveur, sensible, têtu, héroïque, idéaliste et utopique. Elle savait enfin qu'il avait cherché son numéro de téléphone, mais en vain (rire, elle croyait pas), pour tenir sa parole. Et qu'il voulait être avec elle, au moins, dans un instant.
Des années encore. Elle a finalement pu lui dire une bonne fois pour toutes, qu'elle l'aime. Gratuitement et sans demander rien au retour.
C'est beau et c'est idéaliste. C'est irréel. Heureusement au bout du compte, elle peut vider son grand sac sentimental où il y a toujours une place pour ce héroïque obstiné, ce rêveur filou.